jeudi 21 juillet 2011

Va chercher



Blog moribond pour cause de Recherche.

Non, pas question d'appartement, d'âme sœur ou de temps perdu du côté de chez Swann, mais de Recherche avec un grand R : la Recherche universitaire (amis poètes bonsoir).

Car tel est le lot de tout étudiant en fin de cursus. Pour prouver ta valeur, jeune Padawan de l'histoire de l'art, les piles de livres poussiéreux affronter tu devras. A la page blanche tu te confronteras. Ton fichier Word peu à peu tu rempliras. Toute vie sociale tu oublieras. Et fréquemment désespéré tu seras. 

Mais te plaindre jamais tu  n'oseras.

Car le Padawan l'étudiant valeureux aime la Recherche. Fini le temps de l'apprentissage, du par cœur, des fiches surlignées en jaune (pour les dates) et vert (pour les noms propres). La Recherche signe son entrée dans la cour des grands, ceux qui produisent le sacro-saint contenu. Gloire de l'hyper-spécialisation ("Mon domaine ? Je suis très enluminure germanique XVe en ce moment. Plutôt westphalienne. Mais bon, je reste ouvert."), stress de l'absence de sources ("Comment ? Cet incunable a été détruit dans un incendie en 1875  ? Je veux mourir."), exagération liée au manque de sommeil ("Je veux mourir j'ai dit. Passez-moi ce stabilo boss, que je m'ouvre les veines avec.") sont autant de symptômes que l'apprenti-chercheur apprendra à connaître au cours de sa quête. 

Mais quelle quête ! Car la satisfaction de voir une lueur d'intérêt apparaître dans les yeux de son maître Jedi (autrement appelé directeur de recherche) vaut tous les sacrifices. Et l'espoir d'une mention toutes les nuits blanches.

Ou pas.

Parce que parfois, juste, ça ne fonctionne pas. On a beau être passionnée, curieuse, motivée, consciencieuse, la magie de la Recherche n'opère pas. Les satisfactions restent minuscules et les obstacles gigantesques. On compte le nombre de pages qui n'augmente pas et les jours qui diminuent. On hait la bibliothèque et son odeur de perfection estudiantine. On déteste les thésards, ces masochistes qui re-signent pour trois ans. On pleurniche sur son sort. Et sur l'épaule des proches.

Mais si la faiblesse passagère est avouable, le désamour l'est moins. Comment ? Alors que l'on goûte enfin à l'essence même du savoir, alors qu'on frôle les sommets de l'érudition, serait-ce possible de finalement préférer l'apprentissage ? 

Alors on serre les dents, on dégaine son stabilo. Et on retourne compter ses pages.


lundi 11 juillet 2011

Collection Automne-Hiver 1490







Martin Schongauer (suiveurs)
Anonyme


  



Jörg Schweiger


Gravures conservées au Kupferstichkabinett de Bâle

samedi 18 juin 2011

Konrad Witz

Adieu Allemagne, adieu XXIe siècle. Le temps d'un billet nous voici en Suisse, dans le Bâle de la fin du Moyen Age. Depuis 1431, un concile capital s'y déroule. C'est le plus long de tous les conciles œcuméniques. On y discute papauté, anti-papauté, hérésies et Immaculée Conception. Qui de Eugène IV ou de Félix V est le vrai pape ? Que faire des Hussites, ces réformés avant l'heure ? La Vierge a-t-elle été conçue dans le péché ? Autant de questions cruciales qu'il faudra dix-huit ans pour résoudre.

Dix-huit ans, c'est long. Assez long en tout cas pour que les prélats s'installent et que la ville prenne une toute nouvelle dimension internationale. Attirés par cette aura, les artistes s'y bousculent et parmi eux Konrad Witz, peintre du sud de l'Allemagne désireux de se mettre au service de ces fortunés hommes de foi. Or Witz a de l'ambition mais aussi du talent. Il ne peint pas comme les Bâlois de son époque. Pas de décors en carton pâte, de peinture plane sans ombres ni reliefs, lui connaît les primitifs flamands et utilise leurs récentes découvertes. Il saisit le chatoiement des tissus, la douceur des fourrures, la brillance des perles et les reflets de l'eau. Il manie la perspective, ses proportions et ses nuances de couleurs. Il modèle ses formes à petites touches d'ombre et de lumière et insère dans ses compositions sacrées des détails du quotidien. Dans leur cloître, parées de leurs robes aux impossibles plis anguleux, sainte Catherine et sainte Madeleine semblent deux calmes apparitions, tandis que dehors l'agitation de la vie quotidienne ancre la scène dans une réalité toute contemporaine. Les hommes discutent, les échoppes sont ouvertes. Peut-être vient-il de pleuvoir ? Une flaque inonde encore la rue.

On ne lui connait aucune œuvre avant son arrivée à Bâle et il y meurt en 1447, avant la fin donc de la sainte assemblée. Peintre d'un concile, Konrad Witz est à l'honneur au Kunstmuseum jusqu'au 3 juillet 2011.

Sainte Madeleine et sainte Catherine - vers 1440 - Musée de l’œuvre Notre Dame, Strasbourg

Détails
Annonciation - vers 1440 - Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Saint Christophe - 1434/1445 - Kunstmuseum, Bâle
La Synagogue, détail du retable du Miroir du Salut - Vers 1435 - Kunstmuseum, Bâle

jeudi 19 mai 2011

Das Klischee


Les clichés sur les Français sont nombreux et bien connus. Ils ont toujours de près ou de loin quelque chose à voir avec le bon vin, la nourriture, un prétendu amour de la râlerie, du luxe et de la bagatelle (oui oui, celle-là). Et parole d'expatriée, ils ont la vie dure. L'accent chewing-gum des Américaines est "amusant" ? Le vôtre est "érotique". Votre estomac ne supporte pas la bière ? Quel délicieux snobisme français. Si par malheur vous ne cuisinez pas et êtes incapable de sélectionner le meilleur vin de la supérette, préparez vos papiers, votre identité est sérieusement remise en question. Après tout, vous pourriez être une Belge déguisée ! Ah non c'est vrai, votre accent est érotique vous ne buvez pas de bière.

On ne l'imagine pas avant d'avoir vécu outre-Rhin mais ces images d’Épinal sont véhiculées au quotidien par la publicité et les magazines. Lire une revue féminine a un petit goût de retour au pays. Crèmes, parfums, maquillage, les publicités semblent plus percutantes dans le texte. A croire que la crème antiride fonctionne mieux que celle antifalten. Notre savoir-faire français est bien sûr également mis à profit dans des articles de fond comme L'art du flirt, un Français nous conseille ou encore Le chic sexy, les secrets des Françaises. S'ensuit généralement une série de photos tout à fait représentatives de notre style sexy-chic donc, à base de talons de 12cm, de bas coutures et de lingerie fine. Notre quotidien à toutes. Et que fait la Française dans ses dessous sexy-chics ? Elle popote bien sûr ! Le magazine nous délivre donc dans ses pages recettes la formule magique pour réaliser un gâteau "à la française". A cette heure, je cherche toujours l'origine de l'appellation. D'autant que l'un des ingrédients se trouve être la Schlagsahne et que je mets quiconque au défi de trouver cet ersatz de crème fraîche liquide en France.

Réducteur ? Comme tout cliché. Et croyez-en les Portugaises, nous ne sommes pas les plus mal servies. Même quand on pense avoir fait le tour de la question et des plaisanteries plus ou moins graveleuses ("à la française" ne s'applique pas qu'à la pâtisserie), on peut encore avoir des surprises. Sachez donc que tremper le petit biscuit dans sa tasse de thé est un geste "typisch französisch". Si si. Vous avez compris, la prochaine fois pour passer inaperçue, commandez donc une bière et un bretzel.

L'aimable petit Français à marinière est tiré de film de Cédric Villain visible ici.

mercredi 18 mai 2011

Friede auf Erden


"Paix sur la terre" ? Voilà un texte bien doux et pacifique pour être maltraité par Schönberg !

Je l'avoue, c'est ce que j'ai pensé quand on nous a présenté le morceau du prochain concert. Le nom du compositeur viennois m'évoquait bien des choses passionnantes mais toutes plutôt austères : des gros mots comme "atonalité", "musique sérielle" et "dodécaphonisme"; des souvenirs de concerts où de petites notes égrainées par un piano vont se perdre dans une salle de connaisseurs; l'air entendu des dits-connaisseurs quand les petites notes s'affolent et se montent les unes sur les autres sans aucune logique pour l'oreille néophyte.

Passionnante, la révolution de Schönberg l'est assurément. Il déconstruit l'harmonie à l'époque où Kandinsky démolit la figuration. La hiérarchie des tons est obsolète, la copie de la nature également. Les deux artistes créent alors un nouveau système, plus à même de renouveler leur art : le pianiste l'appelle "dodécaphonisme", le peintre "abstraction". Les pièces de Schönberg n'ont cependant pas la couleur, la joie et la facilité d'approche des Compositions de Kandinsky. Sa musique est toute intellectuelle, elle parle à la tête et non au cœur.

Du moins c'est ce que je croyais. Car dès les premières répétitions de Friede auf Erden, les dissonances, les frottements des sons, la beauté de ces notes venant se coller à leur voisine sans jamais former un couple parfait, tout cela m'a touchée. Ce morceau n'est pas un hymne à la théorie, c'est un poème mouvant dont les lignes se mélangent et se heurtent. La pureté qui s'en dégage (adieu orchestre tapageur) fait un peu oublier la difficulté de la chose. Un peu. Parce que l'harmonie tonale, c'était peut-être démodé mais quand même drôlement pratique pour trouver sa note Arnold. 

samedi 14 mai 2011

Question pour un champion


Vendredi soir, c'est soirée disco culture avec au programme une conférence de Philippe Descola au musée des Arts Premiers. Philippe Descola est un gentil monsieur à barbe blanche, anthropologue de son état et plus connu pour avoir récemment conçu l'exposition La Fabrique des Images au musée du Quai Branly. La conférence porte d'ailleurs sur ce même thème, à savoir : comment appréhendons-nous une image, à quel types de schémas fait-on appel et peut-on en déduire différents modèles iconologiques ? Ceux qui ont déjà visité l'exposition le savent, il en existe d'après lui quatre : animisme, naturalisme, totémisme et analogisme. Quatre visions du monde pour quatre interprétations différentes des images le représentant.

Tous ces "ismes" sont grisants (ou est-ce le mousseux ?) et donnent à l'ensemble un petit goût d'avant garde (et de saumon fumé). Car oui, le temps est doux, le vin agréable, le buffet original (noter l'idée du support "tranche de concombre", plus original que la tartinette de pain de mie) et le cadre idyllique. Le jardin du musée offre une vue imprenable sur la ville, le fleuve scintille tellement qu'on touche au cliché et les bancs dispersés sous les arbres donnent envie de passer une robe pastel, de lire de la poésie et de se faire portraiturer par Fragonard. Il ne manque plus qu'un air de clavecin.

C'est donc l'esprit tout prêt à s'élever que nous entrons dans le vif du sujet. Le thème est ardu mais l'idée passionnante. Comment des populations qui attribuent une intériorité humaine à toute entité peuvent-elles comprendre les images de ceux qui considèrent justement cette intériorité comme le propre de l'Homme ? Comment des sociétés qui classent leurs membres en différentes catégories immuables car créées par des entités supérieures sauraient-elles appréhender l'art produit au sein d'un groupe qui met au contraire en valeur la singularité et l'unicité de ses représentants ? La réponse est évidemment dans l'apprentissage des différents systèmes : mieux les connaître pour mieux les comprendre.

La démonstration s'appuie sur les traditionnels masques et totems de contrées exotiques, manifestes de ces différences de perception selon les peuples. L'exercice vaut cependant pour des formes d'art plus familières : la différence entre un paysage hollandais et un paysage chinois est moins formelle que conceptuelle. Le bouleversement de la représentation humaine à la Renaissance ne se résume pas à une invention de perspective mais bien à un changement de rapport de l'homme à son univers.

Et si tout cela est limpide pour vous, prière de réfléchir à la meilleure question de la soirée : "Mais que penses-tu des bulles de mimétisme qui existent parfois au sein de sociétés analogistes comme dans la Grèce hellénistique ?"

Un musicien se met au clavecin. Ca y est, cette soirée est parfaite, je peux sortir ma robe poudrée et m'asseoir sous un saule pleureur. Quoique. Que signifierait au fond ce tableau bucolique ? Vous avez raison Monsieur Descola, "les images ne parlent pas d'elles-mêmes".